Le Figaro
Les tyrans aussi célèbrent la liberté
Le point de vue de Jean d'Ormesson, de l'Académie française.
L'été a été occupé par les Jeux olympiques de Pékin. L'or, cinquante et une fois, est allé à la Chine. Mais les États-Unis l'ont emporté par le nombre des médailles. Derrière les deux puissances victorieuses qui se détachent d'assez loin se situent les athlètes russes.
On ne s'en étonnera pas. États-Unis, Chine, Russie : voilà le trio qui domine aujourd'hui notre monde. Les Américains sont empêtrés dans une élection présidentielle dont le retentissement de ce côté-ci de l'Atlantique montre bien que l'Europe, selon la prédiction de Paul Valéry, est en voie de devenir une annexe de l'Amérique. Vedette incontestée, Barack Obama est talonné par John McCain. Obama est jeune, noir, brillant, sympathique, charismatique. Son élection transformerait du tout au tout l'image obscurcie de l'Amérique de George W. Bush. S'il se présentait au suffrage des Français ou des Allemands, Obama serait désigné haut la main. Mais il est élu par les Américains et il ne semble pas que son voyage triomphal en Europe l'ait beaucoup aidé dans son propre pays. Il a occupé presque seul la scène politique aux États-Unis, mais il n'a pas réussi à creuser l'écart avec son rival. Aux dernières nouvelles, Obama et McCain seraient au coude à coude. Plusieurs fois déjà McCain a rattrapé ou dépassé dans les sondages un Obama qui a toujours réussi à reprendre l'avantage. L'issue du combat reste incertaine. Mais, soutenu plus ou moins clandestinement jusque chez les démocrates par une minorité d'anciens partisans de Hillary Clinton, John McCain est capable de revenir assez fort. S'il fallait parier, on serait tenté de soutenir que, contrairement aux espérances de beaucoup et aux prévisions de presque tous, John McCain, républicain de 72 ans, finira malgré le succès du show médiatique de Denver, malgré l'aide apportée à Obama par Joe Biden, expert en politique internationale, et malgré l'image désastreuse du président Bush par être élu en novembre par une Amérique conservatrice et inquiète, assoiffée de sécurité.
Il aura été aidé en tout cas par ce qui s'est passé cet été en Chine et en Russie. Que s'est-il donc passé ? Disons les choses en un mot : un nationalisme appuyé sur l'armée a fait retour avec une force assez terrifiante dans ces deux anciennes citadelles du communisme international.
Les Jeux de Pékin ont été un triomphe, mais l'ombre du Tibet planait sur les médailles d'or récoltées par les Chinois. La participation des chefs d'État et de gouvernement à la cérémonie d'ouverture a longtemps constitué un sujet majeur de débats. Nicolas Sarkozy s'est rendu à Pékin et il semble difficile de le lui reprocher. Les Jeux olympiques de Pékin n'étaient pas les Jeux olympiques de Berlin en 1936 et les dirigeants chinois ne sont pas des émules de Hitler. Mais, en dépit du spectacle réussi de Pékin, l'expansionnisme chinois constitue toujours un problème et les droits de l'homme continuent à être bafoués en Chine, où règne, comme en Russie, une dictature écrasante. Le stade suprême du communisme et ce qui lui a succédé, c'est la dictature militaire.
L'histoire va vite. Vers le début de l'été, tout le monde s'imaginait que la Chine représentait le danger majeur pour une Europe en déclin et incapable de s'unir. Voilà qu'aux portes même de l'Europe la Russie crée la surprise et dame le pion à la Chine avec la crise géorgienne.
Tout a été dit sur la situation de ces régions mystérieuses d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud ou du Nord, hier encore presque totalement inconnues des Français, et sur l'imprudence du président géorgien, Mikhaïl Saakachvili, qui a fourni aux Russes un prétexte d'intervention. On a beaucoup parlé du retour du boomerang lancé à la face de la Russie à l'occasion de la proclamation d'indépendance du Kosovo. À propos de l'occupation du territoire géorgien par l'armée russe et les services spéciaux transformés en «Forces de maintien de la paix», personne ne s'est pourtant risqué à évoquer un précédent qui offre beaucoup d'analogies avec l'affaire géorgienne : la crise des Sudètes en 1938. C'est pour venir au secours des Allemands opprimés par une Tchécoslovaquie à laquelle ils étaient rattachés depuis la fin de la Première Guerre mondiale que le IIIe Reich a réclamé le territoire des Sudètes. L'Allemagne de l'époque aussi protestait de son désir de paix et tablait sur la faiblesse des démocraties occidentales pour assurer le succès de son chantage militaire. Chacun sait comment la crise des Sudètes s'est terminée : par les accords de Munich, qui entérinaient le coup de force et sauvaient la paix en apparence.
Non, bien sûr, l'histoire ne se répète pas et personne ne fera croire que le président Dmitri Medvedev soit un nouveau Hitler. Mais on voudrait être certain que les événements de Géorgie ne sont pas le signe annonciateur d'une longue série de crises destinées à faire sortir la Russie de la situation diminuée où l'a précipitée l'implosion du communisme. La présence active dans une ombre en pleine lumière de Vladimir Poutine n'est pas rassurante à cet égard. Au-delà de toutes les proclamations, de tous les faux-semblants, de toutes les contorsions, il est évident pour tout le monde que l'attachement aux droits des minorités n'est pas le souci principal de l'adversaire implacable des Tchétchènes. Sous le masque transparent de Medvedev, ce que poursuit avec obstination et par tous les moyens Vladimir Poutine, c'est le rétablissement de la Russie dans sa grandeur passée.
N'importe quel dictateur est capable de faire chanter par ses séides des hymnes à la liberté. L'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud a de quoi faire frémir l'Ukraine à qui appartient la Crimée , les pays Baltes, la Pologne. Le coup de force russe sera sans doute approuvé par la Syrie, par l'Iran, par le Venezuela. Il ne le sera pas par les voisins de la Russie, par toute l'Europe de l'Est libérée de son joug, par les Nations unies seules habilitées à décider de l'accession à la dignité d'États souverains, des régions tentées par l'indépendance. Ce ne sont pas seulement l'Union européenne, Paris, Berlin, Washington qui protestent contre le coup de force. Après la reconnaissance unilatérale par la Russie de l'indépendance des régions séparatistes, Mikhaïl Gorbatchev a mis en garde contre «la menace d'un cataclysme mondial».
Qui menace aujourd'hui la paix de la planète ? L'Iran, la Corée du Nord, les intégristes musulmans un peu partout dans le monde arabe, au Pakistan, en Afghanistan. Et puis, il faut bien le dire, de plus loin, avec plus de mesure, mais aussi avec des moyens autrement puissants, la Chine et la Russie. Elles ont beaucoup de points communs : elles sortent l'une et l'autre du communisme, la Russie en le reniant, la Chine, plus subtilement, en le conservant ; après avoir inspiré et soutenu tant de mouvements de libération populaires, elles tolèrent et encouragent l'une et l'autre, tant qu'il reste aux ordres de l'État, un capitalisme effréné de nature à faire pâlir le capitalisme occidental et qu'il serait bon de signaler à Olivier Besancenot et à son Nouveau Parti anticapitaliste ; la démocratie n'est pour elles qu'un alibi commode et un mot sans signification ; elles s'arrangent pour faire taire leurs adversaires d'une façon ou d'une autre et sans le moindre scrupule dès qu'ils semblent constituer un danger pour le régime ; elles incarnent l'une et l'autre ce nationalisme conquérant dont François Mitterrand disait très bien qu'il représente pour la paix le risque le plus dangereux.
Les tyrans aussi célèbrent la liberté
Le point de vue de Jean d'Ormesson, de l'Académie française.
L'été a été occupé par les Jeux olympiques de Pékin. L'or, cinquante et une fois, est allé à la Chine. Mais les États-Unis l'ont emporté par le nombre des médailles. Derrière les deux puissances victorieuses qui se détachent d'assez loin se situent les athlètes russes.
On ne s'en étonnera pas. États-Unis, Chine, Russie : voilà le trio qui domine aujourd'hui notre monde. Les Américains sont empêtrés dans une élection présidentielle dont le retentissement de ce côté-ci de l'Atlantique montre bien que l'Europe, selon la prédiction de Paul Valéry, est en voie de devenir une annexe de l'Amérique. Vedette incontestée, Barack Obama est talonné par John McCain. Obama est jeune, noir, brillant, sympathique, charismatique. Son élection transformerait du tout au tout l'image obscurcie de l'Amérique de George W. Bush. S'il se présentait au suffrage des Français ou des Allemands, Obama serait désigné haut la main. Mais il est élu par les Américains et il ne semble pas que son voyage triomphal en Europe l'ait beaucoup aidé dans son propre pays. Il a occupé presque seul la scène politique aux États-Unis, mais il n'a pas réussi à creuser l'écart avec son rival. Aux dernières nouvelles, Obama et McCain seraient au coude à coude. Plusieurs fois déjà McCain a rattrapé ou dépassé dans les sondages un Obama qui a toujours réussi à reprendre l'avantage. L'issue du combat reste incertaine. Mais, soutenu plus ou moins clandestinement jusque chez les démocrates par une minorité d'anciens partisans de Hillary Clinton, John McCain est capable de revenir assez fort. S'il fallait parier, on serait tenté de soutenir que, contrairement aux espérances de beaucoup et aux prévisions de presque tous, John McCain, républicain de 72 ans, finira malgré le succès du show médiatique de Denver, malgré l'aide apportée à Obama par Joe Biden, expert en politique internationale, et malgré l'image désastreuse du président Bush par être élu en novembre par une Amérique conservatrice et inquiète, assoiffée de sécurité.
Il aura été aidé en tout cas par ce qui s'est passé cet été en Chine et en Russie. Que s'est-il donc passé ? Disons les choses en un mot : un nationalisme appuyé sur l'armée a fait retour avec une force assez terrifiante dans ces deux anciennes citadelles du communisme international.
Les Jeux de Pékin ont été un triomphe, mais l'ombre du Tibet planait sur les médailles d'or récoltées par les Chinois. La participation des chefs d'État et de gouvernement à la cérémonie d'ouverture a longtemps constitué un sujet majeur de débats. Nicolas Sarkozy s'est rendu à Pékin et il semble difficile de le lui reprocher. Les Jeux olympiques de Pékin n'étaient pas les Jeux olympiques de Berlin en 1936 et les dirigeants chinois ne sont pas des émules de Hitler. Mais, en dépit du spectacle réussi de Pékin, l'expansionnisme chinois constitue toujours un problème et les droits de l'homme continuent à être bafoués en Chine, où règne, comme en Russie, une dictature écrasante. Le stade suprême du communisme et ce qui lui a succédé, c'est la dictature militaire.
L'histoire va vite. Vers le début de l'été, tout le monde s'imaginait que la Chine représentait le danger majeur pour une Europe en déclin et incapable de s'unir. Voilà qu'aux portes même de l'Europe la Russie crée la surprise et dame le pion à la Chine avec la crise géorgienne.
Tout a été dit sur la situation de ces régions mystérieuses d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud ou du Nord, hier encore presque totalement inconnues des Français, et sur l'imprudence du président géorgien, Mikhaïl Saakachvili, qui a fourni aux Russes un prétexte d'intervention. On a beaucoup parlé du retour du boomerang lancé à la face de la Russie à l'occasion de la proclamation d'indépendance du Kosovo. À propos de l'occupation du territoire géorgien par l'armée russe et les services spéciaux transformés en «Forces de maintien de la paix», personne ne s'est pourtant risqué à évoquer un précédent qui offre beaucoup d'analogies avec l'affaire géorgienne : la crise des Sudètes en 1938. C'est pour venir au secours des Allemands opprimés par une Tchécoslovaquie à laquelle ils étaient rattachés depuis la fin de la Première Guerre mondiale que le IIIe Reich a réclamé le territoire des Sudètes. L'Allemagne de l'époque aussi protestait de son désir de paix et tablait sur la faiblesse des démocraties occidentales pour assurer le succès de son chantage militaire. Chacun sait comment la crise des Sudètes s'est terminée : par les accords de Munich, qui entérinaient le coup de force et sauvaient la paix en apparence.
Non, bien sûr, l'histoire ne se répète pas et personne ne fera croire que le président Dmitri Medvedev soit un nouveau Hitler. Mais on voudrait être certain que les événements de Géorgie ne sont pas le signe annonciateur d'une longue série de crises destinées à faire sortir la Russie de la situation diminuée où l'a précipitée l'implosion du communisme. La présence active dans une ombre en pleine lumière de Vladimir Poutine n'est pas rassurante à cet égard. Au-delà de toutes les proclamations, de tous les faux-semblants, de toutes les contorsions, il est évident pour tout le monde que l'attachement aux droits des minorités n'est pas le souci principal de l'adversaire implacable des Tchétchènes. Sous le masque transparent de Medvedev, ce que poursuit avec obstination et par tous les moyens Vladimir Poutine, c'est le rétablissement de la Russie dans sa grandeur passée.
N'importe quel dictateur est capable de faire chanter par ses séides des hymnes à la liberté. L'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud a de quoi faire frémir l'Ukraine à qui appartient la Crimée , les pays Baltes, la Pologne. Le coup de force russe sera sans doute approuvé par la Syrie, par l'Iran, par le Venezuela. Il ne le sera pas par les voisins de la Russie, par toute l'Europe de l'Est libérée de son joug, par les Nations unies seules habilitées à décider de l'accession à la dignité d'États souverains, des régions tentées par l'indépendance. Ce ne sont pas seulement l'Union européenne, Paris, Berlin, Washington qui protestent contre le coup de force. Après la reconnaissance unilatérale par la Russie de l'indépendance des régions séparatistes, Mikhaïl Gorbatchev a mis en garde contre «la menace d'un cataclysme mondial».
Qui menace aujourd'hui la paix de la planète ? L'Iran, la Corée du Nord, les intégristes musulmans un peu partout dans le monde arabe, au Pakistan, en Afghanistan. Et puis, il faut bien le dire, de plus loin, avec plus de mesure, mais aussi avec des moyens autrement puissants, la Chine et la Russie. Elles ont beaucoup de points communs : elles sortent l'une et l'autre du communisme, la Russie en le reniant, la Chine, plus subtilement, en le conservant ; après avoir inspiré et soutenu tant de mouvements de libération populaires, elles tolèrent et encouragent l'une et l'autre, tant qu'il reste aux ordres de l'État, un capitalisme effréné de nature à faire pâlir le capitalisme occidental et qu'il serait bon de signaler à Olivier Besancenot et à son Nouveau Parti anticapitaliste ; la démocratie n'est pour elles qu'un alibi commode et un mot sans signification ; elles s'arrangent pour faire taire leurs adversaires d'une façon ou d'une autre et sans le moindre scrupule dès qu'ils semblent constituer un danger pour le régime ; elles incarnent l'une et l'autre ce nationalisme conquérant dont François Mitterrand disait très bien qu'il représente pour la paix le risque le plus dangereux.
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